Est-ce que çà sert à quelque chose de dire les choses ?


Utilité de dire les choses ?
« Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit »

« Que les petits s’écharpent entre eux, c’est autant de rage en moins contre les gros. » André Blanchard, Contrebande, Le Dilettante, 2007

© PerrinMontaigne, au XVIème siècle, dénonce la torture. Il explique comment l’innocent, intérieurement faible par nature, ne peut qu’avouer ce qu’on veut lui faire dire, tandis que le malfrat, rompu aux horreurs, est “naturellement” armé pour résister. En conséquence, la torture arrache des aveux-pour-en-finir-avec-la-douleur, donc sans réalité, tandis qu’elle en vient à relâcher les vrais coupables. Cet argument, que normalement on étudie au lycée, ne souffre guère la contradiction. Il est frappé au coin du bon sens. Mais non, la torture continue dans de nombreux pays !

La Fontaine, La Bruyère, entre autres, dénoncent les féroces inégalités de condition. On a changé le vocabulaire, mais pas la réalité. Les scandales continuent de plus belle. Il suffit d’ouvrir chaque semaine Le Canard enchaîné pour s’en convaincre. Je lis, je ris, j’enrage : mépris, gabegie, impéritie !

Voltaire, au XVIIIème, stigmatisme les sectarismes et les fanatismes. Qui n’a jamais lu Candide ? Pourtant aucun progrès, depuis. Les attentats du 7 au 9 janvier, en France, le démontrent — et la manif du 11 ne fut pas exempte de sectarisme. Les œillères scintillent plus que jamais. Dans une page d’anthologie, Michel Onfray les dénonce avec force, mais en vain.

Mépris, gabegie, impéritie : Depuis des lustres, des milliers de pages de “recommandations” de la Cour des Comptes restent lettre morte, classement vertical.

Si la culture, qui fortifie l’éducation (elle asseoit les comparaisons, elle accroît le recul, etc.), avait les pouvoirs d’émancipation que Hugo lui prétait, et que la réalité dément, le panurgisme existerait peut-être moins. Or le pouvoir la réduit, la limite, la culture, et ses thuriféraires la canalisent… au caniveau. Comment ?

  • Pour le lycée, par faiblesse, on traduit les œuvres du Moyen-Âge, de Montaigne, de Rabelais. Certains lisaient le Grec et le latin couramment, il y a cinquante ans. On ne fait plus déchiffrer notre propre patrimoine ! En 1462, Villon ne rend-t-il pas la vie à ses pendus, simplement : « Jamais, nul temps, nous ne sommes assis »… Cette plainte (un pendu fatigue, oui, de ne pas pouvoir s’asseoir) serait incompréhensible ! Mais quoi ! Angot a bien dû se faire expliquer par Pirotte, il y a dix ans (sur France-Culture), l’amour d’une mère de Hugo : « Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier ».
  • La langue est laissée à l’abandon par les élites même. Ces temps derniers, chacun [Bilger, Cayrol, Schneider, pour ne citer que trois noms] remplace à gogo le mot “unanimité” par celui d’unanimisme. Or l’Unanimisme, ce fut une école littéraire qui, au début du XXème siècle, se proposait de traduire les sentiments de larges groupes humains, rien à voir avec l’unanimité. N’est-ce pas Panurge en personne au sommet (ici médiatique) ? C’est embrouiller le peuple, sûrement.
  • La culture en cours, subventionnée à haute dose, qu’est-ce que c’est devenu ? Ne parlons pas des chansons de préférence pas françaises [Brassens, Brel, Ferrat, Ferré, au silence] ou si stupides qu’à la radio-de-service-public elles viennent couper sans cesse la parole des rares qui auraient à dire. Regardons la littérature actuelle mise à l’honneur, les arts en général. Trouver un style au Centre Pompidou, aux colonnes de Buren ! Et l’actuelle ministre qui déclare bien connaître le dernier Nobel : elle l’a reçu à souper dès le prix annoncé. « On a bien rigolé », mais s’avère, trois jours plus tard, incapable de citer un seul de ses titres !
  • On sanctuarise le non-sens et l’éphémère que certains achètent plus que jamais à prix d’or…

Au plan de l’État, comment peut-on déclarer constitutionnelle une loi que ceux-là-mêmes qui l’ont votée ne peuvent pas comprendre ? Combien sont lisibles, claires, compréhensibles à première lecture ? 2% selon Roland Cayrol dans un tout récent C dans l’air.

Quant aux valeurs de la République ! Comment ose-t-on les pisser, comme un tonneau trop sec ! L’égalité ? N’y a-t-il pas les “sans dents” et les autres ? Les riches et les pauvres, avec l’écart toujours plus grand ! Les hommes et les femmes, encore aujourd’hui, qui ne gagnent pas les mêmes sommes, à travail égal ? Et, entre les peuples ? Un instituteur à la retraite gagne, en Suisse, trois fois ce que perçoit un agrégé à la retraite français, de ce côté de la frontière !

Comment encore ose-t-on penser très fort — jusqu’à ce qu’un Président “normal” de la République en fasse état publiquement — que l’argent des contribuables est, pareil au sable à poignées, inépuisable ? Presque pas un jour, chez ceux qui gouvernent, sans une énormité de tous ordres !

Tout conduirait à penser que dire ne sert à rien, ou presque. Mais se taire, n’est-ce pas accepter, cautionner le désastre, pire encore ? Je n’y crois pas plus que la raison ne me le permet, bien sûr. Mais la foi, toute relative — un jeune lira ces lignes, un jour peut-être, et en confortera sa propre liberté de pensée —, dans les bouteilles à la mer en vaut bien d’autres… plus criminelles. Je risque l’infamie, sans faire de mal à personne. Mais je partage avec La Rochefoucauld, cité en sous-titre, ce petit goût du risque sans lequel la vie resterait terne à nos yeux.

texte de qui fut poète au XXème et le demeure sans doute, ce 13 février 2015

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