Montaigne, au XVIème siècle, dénonce la torture. Il explique comment l’innocent, intérieurement faible par nature, ne peut qu’avouer ce qu’on veut lui faire dire, tandis que le malfrat, rompu aux horreurs, est “naturellement” armé pour résister. En conséquence, la torture arrache des aveux-pour-en-finir-avec-la-douleur, donc sans réalité, tandis qu’elle en vient à relâcher les vrais coupables. Cet argument, que normalement on étudie au lycée, ne souffre guère la contradiction. Il est frappé au coin du bon sens. Mais non, la torture continue dans de nombreux pays !
La Fontaine, La Bruyère, entre autres, dénoncent les féroces inégalités de condition. On a changé le vocabulaire, mais pas la réalité. Les scandales continuent de plus belle. Il suffit d’ouvrir chaque semaine Le Canard enchaîné pour s’en convaincre. Je lis, je ris, j’enrage : mépris, gabegie, impéritie !
Voltaire, au XVIIIème, stigmatisme les sectarismes et les fanatismes. Qui n’a jamais lu Candide ? Pourtant aucun progrès, depuis. Les attentats du 7 au 9 janvier, en France, le démontrent — et la manif du 11 ne fut pas exempte de sectarisme. Les œillères scintillent plus que jamais. Dans une page d’anthologie, Michel Onfray les dénonce avec force, mais en vain.
Mépris, gabegie, impéritie : Depuis des lustres, des milliers de pages de “recommandations” de la Cour des Comptes restent lettre morte, classement vertical.
Si la culture, qui fortifie l’éducation (elle asseoit les comparaisons, elle accroît le recul, etc.), avait les pouvoirs d’émancipation que Hugo lui prétait, et que la réalité dément, le panurgisme existerait peut-être moins. Or le pouvoir la réduit, la limite, la culture, et ses thuriféraires la canalisent… au caniveau. Comment ?
Au plan de l’État, comment peut-on déclarer constitutionnelle une loi que ceux-là-mêmes qui l’ont votée ne peuvent pas comprendre ? Combien sont lisibles, claires, compréhensibles à première lecture ? 2% selon Roland Cayrol dans un tout récent C dans l’air.
Quant aux valeurs de la République ! Comment ose-t-on les pisser, comme un tonneau trop sec ! L’égalité ? N’y a-t-il pas les “sans dents” et les autres ? Les riches et les pauvres, avec l’écart toujours plus grand ! Les hommes et les femmes, encore aujourd’hui, qui ne gagnent pas les mêmes sommes, à travail égal ? Et, entre les peuples ? Un instituteur à la retraite gagne, en Suisse, trois fois ce que perçoit un agrégé à la retraite français, de ce côté de la frontière !
Comment encore ose-t-on penser très fort — jusqu’à ce qu’un Président “normal” de la République en fasse état publiquement — que l’argent des contribuables est, pareil au sable à poignées, inépuisable ? Presque pas un jour, chez ceux qui gouvernent, sans une énormité de tous ordres !
Tout conduirait à penser que dire ne sert à rien, ou presque. Mais se taire, n’est-ce pas accepter, cautionner le désastre, pire encore ? Je n’y crois pas plus que la raison ne me le permet, bien sûr. Mais la foi, toute relative — un jeune lira ces lignes, un jour peut-être, et en confortera sa propre liberté de pensée —, dans les bouteilles à la mer en vaut bien d’autres… plus criminelles. Je risque l’infamie, sans faire de mal à personne. Mais je partage avec La Rochefoucauld, cité en sous-titre, ce petit goût du risque sans lequel la vie resterait terne à nos yeux.
texte de qui fut poète au XXème et le demeure sans doute, ce 13 février 2015